Les mots du romantisme | Tourment

Les mots du Romantisme
| TOURMENT |

« Je ne connais ni ce vertige, ni ce tourment, ni tous ces fumeux états d’âme… Il n’y a pas moins romantique que moi. J’ignore tout de l’inquiétude. », voici comment, en 1929, l’écrivain Roger Martin du Gard décrit, en creux, le personnage romantique et ce n’est pas sans nostalgie que l’on pense à cette « génération ardente, pâle, nerveuse » cette « jeunesse soucieuse » dont nous parlait Alfred de Musset dans la Confession d’un enfant du siècle en 1836. Quel est donc le tourment qui affecte cette âme blessée?
Le héros romantique, prisonnier d’un monde dans lequel ils ne se reconnait pas, souffre d’être confronté aux limites d’une existence trop humaine, il se situe volontiers dans les marges. Son désir de liberté le pousse à la révolte, mais renforce son isolement et accentue les conflits entre son Moi profond et l’environnement extérieur.
Le héros Shakespearien a servi de modèle au héros romantique. De Hamlet au Lorenzaccio de Musset, la réalité étant devenue insoutenable, seules l’ironie, la folie ou la mort peuvent le soustraire à l’angoisse qui l’étreint. Son action est vouée à l’échec, il doit se soumettre aux assauts de la providence, comme s’il tirait précisément sa grandeur de sa chute.
Mais cette chute est aussi le prix à payer pour que s’exprime chez l’artiste sa subjectivité, le lourd tribut de son génie créateur.

Une soif d’infini pousse le héros romantique vers l’ailleurs, croyant trouver dans cet exil un oubli aussi vaste que la Nature dans ses spectacles les plus extrêmes. C’est pourtant au contact d’une nature consolatrice que l’âme romantique aimerait trouver l’apaisement de ses tourments. Si cette nature reste le sujet de sa rêverie, le doute s’installe pourtant à l’heure où le ciel se tait. Le désenchantement est d’autant plus douloureux que les aspirations sont immenses. Les paysages accidentés offrent une résonance particulière aux tourments intérieurs, ils reflètent par analogie, l’instabilité de l’humaine condition. Le temps qui passe use tout et la terre elle-même est marquée par les ruines des civilisations. Cependant, sous l’emprise de l’imagination et de la sensibilité, le héros entrevoit les merveilles d’un royaume intérieur vertigineux. Ainsi le René de Chateaubriand, personnage éponyme du roman paru en 1802, s’exclame t-il :
« Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! » Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni la pluie, ni le frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur ».

Texte de Catherine de Laborderie, conférencière

Illustrations :
- Ary Scheffer, Faust dans son Cabinet,  Musée de la Vie romantique. Inspiré du Faust de Goethe
- Ary Scheffer, Scène d'Hamlet au cimetière, aquarelle, Musée de la Vie romantique 
- Ary Scheffer, Le Giaour, Musée de la Vie romantique. D’après Byron.

► Retour sur tous les mots du romantisme