Les mots du romantisme | La nuit

La nuit romantique s’ouvre sur les clartés mourantes ⁽¹⁾ du siècle des Lumières. L’artiste se détourne des certitudes de la raison et de la science pour explorer d’autres voies, celles de l’impalpable, des émotions et de l’irrationnel.

La vision diurne, objective, se trouve affectée, comme refoulée au profit d’un regard tourné vers l’intérieur, vers l’infini et l’indéterminé.

La nuit, le sommeil « engendre des monstres », pour reprendre une célèbre gravure de Goya ⁽²⁾, ou encore fait naître le Cauchemar comme le révèle le peintre Füssli ⁽³⁾. Il propulse le rêveur vers l’inconnu d’où peuvent soudain apparaître de la nuit des temps (et non sans une certaine nostalgie) : des chimères, des châteaux en ruines, des églises gothiques au clair de lune, des cimetières déserts où s’agitent les spectres comme dans le tableau d’Ary Scheffer Lénore ou les morts vont vite (ill. 2). La mort rôde, à moins que ce ne soit le Diable ! On se détourne volontiers de « l’orgueilleuse lumière » dont parle Goethe dans son Faust, pour s’adonner aux plaisirs interdits notamment lors de La Nuit de Walpurgis (ill. 3).
La tombée du jour amplifie les ombres, elle dramatise les perceptions en un clair-obscur de plus en plus incertain. Les contours s’estompent, les formes se dissolvent pour mieux fusionner.

L’obscurité agit sur la sensibilité de l’artiste, du poète, elle provoque une attraction singulière, qui réveille son imagination en lui dévoilant les mystères et les splendeurs de la Nuit. « Ce lieu des révélations », dont parle le poète germanique Novalis dans les Hymnes à la Nuit, devient puissance créatrice et sa contemplation élève l’âme.

Dans la nuit scintillent quelques lumières. Celle de l’éclair, intuition surgie des ténèbres, celle de la flamme vacillante, propice au murmure et à la confidence des cœurs à l’unisson (ill. 3). La lune, quant à elle, incarne l’astre nocturne par excellence. Sa contemplation inspire aussi bien peintres que poètes et musiciens.
Mais la solitude vient parfois se loger au creux d’une âme inquiète, apportant avec elle sa mélancolie, à l’image du dialogue qu’entretient Musset avec son double, qui lui ressemblait comme un frère, dans la Nuit de décembre.

Dans le silence, enfin, la nuit résonne et offre au musicien son espace, le temps d’un Nocturne. Écoutons avec George Sand la Note bleue de Frédéric Chopin : « et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente ».

Enfin, tout semble s’apaiser … « entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche » ⁽⁴⁾ nous dit Baudelaire, et pourtant…